Par Michel VOLCKCRICK et Franck MONTUELLE
La période de pandémie dont nous sortons à peine a conduit six experts du Conseil Scientifique de l’ORTEJ à partager leurs analyses, leurs réflexions ainsi que leurs inquiétudes et espoirs. Ils nous font part de leurs préconisations.
Il faut d’emblée reconnaitre que l’irruption brusque et brutale du covid-19, a induit une sidération qui n’a pas épargné les chercheurs impliqués dans l’éducation. Des concepts nouveaux sont apparus : confinement, distanciation sociale, cours en ligne…
On ne peut évidemment que regretter le manque de discernement de nos dirigeants. L’étude des réseaux, la théorie des graphes, les probabilités, la gestion des stocks … constituent des instruments qui auraient permis une certaine prédictibilité en conférant plus de lisibilité aux décisions à prendre. Certes, les modèles dont il est question ne décident pas à la place des politiques, ils aident toutefois à arbitrer entre la vie, l’économie, l’écologie, … Ils facilitent l’adoption d’un comportement plus rationnel.
Confinement indispensable.
Il a été présenté par les épidémiologistes et comme nos élus comme constituant la solution pour lutter contre une épidémie virale, soit ! Le confinement généralisé s’est toutefois avéré être le plus puissant « désynchroniseur » et le plus dévastateur pour la santé publique que la France ait connu depuis la fin du second conflit mondial. La difficulté se cristallise autour de la synchronisation entre les rythmes biologiques, psychologiques, sociaux des adultes, celle des enfants et celle de leur environnement. L’enjeu de la question consiste à prévenir des troubles comportementaux liés au confinement et au déconfinement.
Chez l’homme et plus particulièrement chez l’enfant, deux facteurs étroitement liés facilitent la synchronisation : d’une part, la régularité dans les emplois du temps journaliers et hebdomadaires, et d’autre part, le repérage des différents moments marquants qui ponctuent la journée et la semaine.
Le confinement a permis aussi de découvrir les bienfaits (ou la nécessité) d’internet alors qu’il y a peu on se plaignait à grands cris des smartphones et tablettes. On réalise désormais les ruptures sociales induites par la configuration du logement, le niveau culturel de la famille et la fracture numérique. On a essayé de pallier ce retard par des initiatives certes louables, émissions éducatives télédiffusées, chaines YouTube, Facebook…, alors que des familles entières vivent sous le seuil de pauvreté, dans la misère totale sans aucune ressource et aucun moyen de communication numérique.
Les enfants et adolescents qui disposent de ces équipements numériques sont fortement exposés aux écrans des smartphones, tablettes, ordinateurs qui sont tous émetteurs de lumière bleue. La raie bleue du spectre lumineux, même si elle nous semble de faible intensité, est la plus toxique à la fois pour l’œil et pour l’horloge biologique. Elle constitue en effet la bande la plus énergétique du spectre lumineux. Toute situation matérielle favorisant cette appétence pour les médias électroniques et la sédentarité qui y est associée est à prendre en considération. La bonne santé de nos jeunes est tributaire du respect de leurs rythmes biologiques qui dépendent eux-mêmes de la régularité d’exposition aux facteurs de l’environnement (jour / nuit). Ce cadre régulier de vie est un facteur clé de réussite.
Ce confinement est également l’occasion de quelques rappels à propos des effets de la présence d’autrui décrits depuis plus d’un siècle par les psychosociologues. Des travaux menés aux Etats-Unis à la fin XIXème siècle, montraient que l’isolement est préférable dans le temps d’apprentissage mais que la manifestation de son savoir rend indispensable la confrontation à l’autre, voire la compétition. On conviendra effectivement que le confinement n’est pas l’isolement. Les familles peu nombreuses qui disposent d’un espace suffisant pour que chacun puisse s’isoler, sont grandement favorisées par rapport à celles qui sont regroupées nombreuses dans un espace étroit. Ces dernières constituent le pire des milieux pour apprendre et souvent celles qui sont les plus socialement défavorisées.
Notons enfin que le confinement a mis à mal l’organisation règlementaire du travail des enseignants et des élèves jusque dans son cadre annuel, le « sacro-saint calendrier scolaire » qu’il s’agisse de la place, de la nature, des dates des examens et des concours, de la place, la fréquence, la durée des vacances (petites et grandes), l’organisation de la journée et de la semaine. Avec le confinement, a émergé le caractère global de l’éducation. Temps éducatif, temps familial, temps scolaire, tous ces temps cloisonnés par leurs espaces bien définis avant le confinement, sont devenus un même temps figé, fusionné dans un même espace-temps chez soi, celui du domicile (maison ou appartement).
Déconfinement tout aussi indispensable.
La continuité éducative et les loisirs à la maison constituent des synchroniseurs efficaces. Avec le déconfinement, il est nécessaire, au-delà des indispensables mesures de protection, de progresser par étapes. Ainsi, pour accompagner ce déconfinement, des mesures s’imposent. Il est notamment impératif de donner la priorité aux enfants en difficulté, de tenir compte de l’âge des élèves, d’alterner par demi-journée les activités scolaires et activités périscolaires, d’institutionnaliser et de valoriser le rôle des co-éducateurs dans leur diversité.
Il s’agit en effet de venir prioritairement en aide aux enfants défavorisés qui vivent dans un espace où la distanciation sociale et les moyens technologiques sont inexistants. Se pose alors la question de l’avenir de l’école, de celui de ses méthodes d’apprentissages, de l’organisation du temps scolaire, notamment en ce qui concerne ses rythmes. Un avenir est, par définition inconnu ! Il nous revient, à nous autres chercheurs, de contribuer à une exploration des possibles afin d’aider nos contemporains à comprendre à mieux comprendre le temps présent pour à améliorer notre devenir collectif.
Pour conclure, nous pouvons dire que le confinement généré par le covid-19 a démontré ce que nous savons déjà : la santé physique et psychologique des enfants passe par un espace bien défini dont l’école demeure un acteur majeur, le chez soi reste une source de bien-être et d’équilibre social mais ne peut se substituer à l’action scolaire.
Tout changement d’orientation de politique éducative nationale, même réalisé avec un fort consensus, ne peut s’avérer solide, pérenne et pertinent que si l’on considère que la formation initiale et continue de tous les éducateurs, enseignants et personnels d’encadrement… est le socle fondamental de l’école de demain, plus juste et vraiment tournée vers la réussite de tous.
Refuser de considérer les mutations sociales profondes ainsi que les changements de nos mentalités, de nos comportements, de nos pratiques qui bousculent notre société éducative et libèrent les énergies individuelles et collectives serait une erreur grave pour notre Ecole, creuset des valeurs républicaines. Ceci ouvrirait probablement la porte à une école soumise à la loi du marché.
L’Observatoire des Rythmes des Temps de l’Enfant et du Jeune (ORTEJ) souhaite que ses réflexions et recommandations soient entendues et qu’elles contribuent à penser l’école d’après le confinement.
(On trouvera l’intégralité des textes des chercheurs sur le site de l’ORTEJ.
- Jean-Pierre Mailles (Président d’honneur de la FCPE, Représentant du CNAFAL à l’ORTEJ), Lire l’article
- Georges Fotinos (Docteur en Géographie, Ancien chargé d’Inspection générale de l’Éducation nationale), Lire l’article
- Daniel Alaphilippe (Professeur retraité de Psychologie sociale), Lire l’article
- Yvan Touitou (Professeur émérite Université Pierre et Marie Curie, Paris ; Chronobiologiste, Membre de l’Académie de Médecine ; Président hon. de l’Académie de Pharmacie), Lire l’article
- Louisa Marouf (Professeure en Psychologie et Sciences de l’éducation, Directrice du Laboratoire Société-Éducation-Travail « LSET », Université Mouloud Mammeri, Tizi-Ouzou, Algérie), Lire l’article
- François Testu (Président de l’ORTEJ, Professeur émérite en Psychologie, Université de Tours), Lire l’article
La synthèse a été réalisée par Franck Montuelle et Michel Volckcrick, membres fondateurs, au sein du SI.EN, de l’ORTEJ)