La droite et certains syndicats réformistes, qui promeuvent un statut particulier pour le directeur d’école, appellent à un statut des écoles aussi. Aujourd’hui, les écoles du premier degré, maternelles et élémentaires, n’ont pas d’existence juridique. Max Brisson, dans sa proposition de loi adoptée au Sénat, crée l’établissement public autonome d’éducation pour les écoles publiques. Le ministre de l’Éducation nationale a quant à lui spécifier qu’il n’a « rien contre l’autonomie en tant que telle mais nous gagnerions à converser plus avant sur les modalités et le contenu de l’autonomie dont nous parlons ». Georges Fotinos, ancien chargé d’Inspection Générale vie scolaire qui a travaillé sur la question, livre son analyse au Café pédagogique. Une analyse qui ne plaira pas à tout le monde.
La mise en œuvre de l’autonomie des établissements du premier degré public est une question récurrente. De quoi s’agit-il ?
Vous avez raison de souligner que c’est un sujet récurrent à l’éducation nationale qui a fait l’objet de rapports institutionnels et de plusieurs tentatives de mise en œuvre sur le terrain depuis plus de 50 ans. Pour moi, la référence de départ est le colloque d’Amiens de Mars 1968 « Pour une école nouvelle » – soutenu par le ministre de l’éducation nationale de l’époque Alain Peyrefitte et la très grande majorité des acteurs de l’école- qui porte l’idée que « c’est au niveau des établissements scolaires que se joue l’évolution réelle de la pédagogie. La classe est un cadre trop étroit pour que les innovations puissent y prendre sérieusement racines. Il importe donc d’accorder une large autonomie aux établissements scolaires ». Proposition « remisée » par les suites politiques de Mai 1968.
Les tentatives de mise en œuvre, quant à elles, se retrouvent dans plusieurs lois, décrets, amendements propositions de lois, déclarations ministérielles qui s’appuient ou non sur des rapports et études d’origine institutionnelle centrés sur l’évolution statutaire de l’École. Le rapport du recteur Claude Pair au Ministre Claude Allègre qui propose de créer des Etablissements du 1er degré (1998). L’article 86 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales qui crée la possibilité pour l’Etat de créer des EPEP (Etablissement public d’enseignement primaire) en 2004. La proposition de loi relative à la création des EPEP alignés sur le statut des EPLE – automaticité de création au-delà de 10 classes – en 2008. Et dernier avatar en 2019, un amendement inséré dans la loi sur l’École de la confiance qui évoque la création des EPSF (Établissements Publics des Savoirs Fondamentaux) et qui reprend une des pistes présentées par le rapport IGEN/ IGAEN sur le fonctionnement et le pilotage de la circonscription du 1er degré. Enfin pour clore avec une pointe d’humour ce rappel diachronique, pourquoi ne pas citer le ministre Xavier Darcos qui lors de son audition au Sénat en 2008 déclarait « J’espère pouvoir dans le 1er trimestre qui arrive faire une avancée considérable sur la question de l’Etablissement du 1er degré. Pour ne pas dire une avancée définitive ».
A l’analyse de ce corpus d’informations et au regard des multiples débats, textes, actions, produits lors de ces étapes, il apparaît nettement que ces échecs répétitifs reposent en grande partie d’une part sur l’abandon dans les textes présentés des grands principes de changement ressortant du colloque d’Amiens mettant en avant la pédagogie et l’organisation collective de l’école et d’autre part – conséquence majeure de cette carence – sur l’absence d’un large consensus des principaux acteurs chargé de mettre en œuvre cette évolution : les enseignants et les collectivités locales.
Selon votre analyse, un nouveau contexte éducatif est favorable à l’évolution vers un statut pour les écoles du 1er degré ?
En effet. Cinq grands facteurs ont dessiné ce nouveau contexte : la crise du covid, l’évolution des collectivités locales, les avancées d’origine institutionnelles, le positionnement de certains syndicats représentatifs et les résultats d’études nationales et internationales.
La crise éducative provoquée par le Covid 19 et ses conséquences relevées par les études d’impacts, plus particulièrement, la forte prise de conscience de la nécessité d’une vraie responsabilisation des acteurs de terrain du système éducatif qui s’inscrit implicitement dans une dynamique de déconcentration et d’innovation, ouvrent de nouvelles perspectives. Il s’agit d’abord de la prise de conscience générale par la communauté éducative de l’importance de l’école et de la nécessité de développer son identité avec l’aide et le soutien des usagers et partenaires locaux .
Ensuite le fait qu’une majorité des enseignants/directrices/directeurs considèrent que cette crise a fait évoluer leur pratiques éducatives sous la pression d’une responsabilisation accrue et a introduit pour faire face à la contingence quotidienne des « imprévus » la nécessité de créer et d’innover. Il faut aussi noter que la situation anxiogène provoquée par la crise a souvent amélioré la solidarité professionnelle et le sentiment d’appartenance des acteurs éducatifs à l’école.
Quant à l’évolution du positionnement des collectivités locales ,les débats du Sénat sur le statut de directeur d’école et l’audition par ce même Sénat de l’AMF sur « le devenir de l’école de proximité » montrent un possible qui soit « dans un cadre de changement qui préserve l’école de proximité dans un maillage territorial réaliste et non concentré »
Trois avancées d’origine institutionnelle participent aussi à la création de ce nouveau contexte. La première d’initiative parlementaire concerne d’une part la reconnaissance par la loi de « l’autorité fonctionnelle » du Directeur d’école et d’une formation professionnelle adéquate pour l’exercer-mesures soutenue par les syndicats réformistes des personnels du 1er degré – et d’autre part l’intérêt actuel porté par les sénateurs sur « l’autonomie de l’établissement public du 1er degré ». La seconde d’origine ministérielle qui généralise l’autoévaluation des Établissements/École sous l’autorité du Comité d’Évaluation de l’École et promeut dans le cadre de concertations locales des initiatives nouvelles et collectives de nature à améliorer la réussite et le bien-être des élèves, ainsi qu’à réduire les inégalités. Le positionnement du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse sur l’autonomie des écoles publiques devant les sénateurs.
La manifestation d’intérêt portée par les syndicats réformistes à ces avancées ainsi que leurs demandes insistantes et récemment renouvelées de la création d’un Etablissement du Premier Degré. Il y aussi ce sondage réalisé par l’IFOP pour le SE/UNSA en Mars 2021 auprès des Directeurs d’école qui indique que pour ces derniers l’évolution pour l’avenir de l’école passe en priorité « par une évolution du statut de l’école vers un établissement du premier degré pour renforcer son autonomie sans faire du directeur le supérieur hiérarchique ».
Pour rappel, en 2017 l’étude nationale – soutenue par l’Accord-cadre MENJS/CASDEN – « Le Moral des directeurs d’école » indiquait que 84% des Directeurs répondaient OUI à la question : « Pour clarifier les responsabilités et les prises de décision , faut-il que la structure administrative de l’école évolue ? »
Enfin plusieurs exemples nationaux et internationaux montrent que l’autonomie de l’école comprise comme un principe systémique apporte – dans le respect des principes directeurs et des valeurs républicaines du système éducatif national – tant pour les enseignants que pour les élèves – des moyens pour améliorer la réussite et le bien être scolaires. Les micro- exemples que sont les écoles fonctionnant sur les modèles de mouvements pédagogiques complémentaires de l’école publique en apportent une preuve.
A noter que le développement de la concurrence de l’enseignement privé met encore plus en évidence la nécessité d’une évolution d’organisation pour rendre l’école publique plus attractive et plus performante. Changement qui par ancrage juridique permettrait de rendre un meilleur service aux familles – par exemple être la tête de pont pour la délivrance des bourses du 1er degré, créer des lieux de partenariats structurels ,de libérer l’envie de faire des enseignants, de donner la capacité aux équipes d’adapter les moyens aux besoins des élèves et aux projets d’école. Pour résumer sortir du labyrinthique parcours administratif infantilisant pour agir et promouvoir l’école laïque émancipatrice.
Vous pensez donc possible un tel changement pour les écoles du premier degré ?
Oui. In fine, cette réforme majeure qui vise à construire un nouveau cycle vertueux de réussite pour l’école française et à ancrer de façon pérenne une politique ambitieuse d’aménagement du territoire, repose sur un préalable : le développement de la confiance des acteurs envers l’institution et trois engagements interdépendants qui font largement consensus. Le premier : faire évoluer la gouvernance actuelle du système éducatif centrée sur « les résultats attendus » vers les conditions nécessaires pour la réussite de leur mise en œuvre. C’est-à-dire mettre ce changement de « centre de gravité au cœur et comme moteur » de l’Education nationale.
Second engagement : recentrer le fonctionnement du système éducatif sur sa base vitale et sa raison d’être, l’école et l’établissement, et remplacer l’organisation pyramidale nationale par une systémique horizontale territoriale inscrite dans le cadre régalien.
Et enfin, dernier engagement et non des moindres, dégager des moyens financiers et en personnels à la hauteur de l’ambition de ce changement tout en permettant et développant les mutualisations avec les organisations de collectivités locales et les ministères concernés.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda (Le Café Pédagogique)