par Michel VOLCKCRICK
Le propos reprend le diaporama et les notes prises lors du séminaire organisé par le RFVE du 5 janvier dernier et présenté par Benjamin Moignard, chercheur au laboratoire EMA de l’université de Cergy-Pontoise, et membre de la coordination de recherches universitaires relatives à la transformation des politiques publiques en éducation sur les territoires les plus vulnérables. Le bilan provisoire a été réalisé sur 12 villes engagées dans le dispositif. Il vise à rendre compte des résultats de recherches en cours dans plusieurs programmes de Cités éducatives, en interrogeant la transformation des politiques publiques en éducation, les pratiques qu’elles suscitent sur la prise en charge de difficultés identifiées, et les effets mesurés sur les formes d’encadrements éducatifs.
Vous voudrez bien excuser certaines difficultés que j’ai rencontrées à mettre en cohérence et en clarté tous les éléments de mon intervention, non pas que celle de Benjamin Moi-gnard ne l’était pas mais plutôt parce que l’abondance de ses commentaires et explications ont limité la précision de mes notes.
Sachant que l’école est devenue incontournable du fait :
• D’une massification marquée par la généralisation de l’accès à l’enseignement primaire et secondaire ;
• D’une massification scolaire permettant d’augmenter sensiblement la part d’élèves diplômés issus des milieux populaires ;
Mais que cette massification ne réussit pas à assurer la démocratisation de la réussite à l’école ; l’orientation comme la diplomation restant profondément liées à l’origine sociale des élèves.
Comment donc les politiques éducatives locales peuvent-elles participer à l’amélioration des conditions de scolarité et de réussite éducative des élèves et de leurs familles ?
De quelques marqueurs des Cités éducatives
Les dispositifs doivent montrer tout d’abord l’avènement de l’échelon local comme levier de l’action, ce qui se caractérise par :
• Des politiques éducatives locales qui se renforcent ;
• une « scolarisation » du social ;
• un souci de lutter contre les inégalités scolaires mais qui ressemble parfois à une simple gestion de l’inégalité.
Ils montrent aussi une certaine volonté de continuité et de renouvellement des logiques d’action en éducation tout en visant :
• l’excellence ;
• le pilotage partagé ;
• une logique d’alliance affirmée ;
• une prise en charge individualisée ;
Je cite la circulaire :
« Les Cités éducatives visent à intensifier les prises en charges éducatives des enfants et des jeunes, de la naissance à l’insertion professionnelle, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire. Elles consistent en une grande alliance des acteurs éducatifs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : parents, services de l’État, des collectivités, associations, habitants.
À travers les Cités éducatives, le Gouvernement veut ainsi fédérer tous les acteurs de l’éducation scolaire et périscolaire, dans les territoires qui en ont le plus besoin et où seront concentrés les moyens publics. »
Je cite encore :
« L’ambition des Cités éducatives n’est pas d’être un dispositif de plus mais de mieux coordonner les dispositifs existants et d’innover pour aller plus loin. L’enjeu est de pouvoir accompagner au mieux chaque parcours éducatif individuel, depuis la petite enfance jusqu’à l’insertion professionnelle, dans tous les temps et espaces de vie. »
Des questions au travail autour des Cités Educatives (1/3)
Sur les contenus :
Les dispositifs semblent se définir comme une nouvelle forme pour l’action ; nous irions ainsi vers une organisation scolaire et éducative avec :
• un rapport nouveau de la structure au territoire
• un rapport nouveau aux publics visés – on oscille en permanence entre des traitements ciblés et des dispositifs universalistes ;
• un rapport nouveau à l’organisation et à ses temporalités
L’impact COVID-19 qui a créé des alliances à distance ; nous reviendrons sur les alliances.
Globalement, les “nouvelles” problématiques éducatives :
• Perturbent ou questionnent le fonctionnement ordinaire de l’école et/ou remettent en cause ses fonctions sociales élémentaires ;
• Interrogent l’articulation des missions traditionnelles de l’école autour de l’instruction, de la transmission des savoirs et de la construction des apprentissages, avec des formes éducatives plus larges ;
• Sont l’objet de promotion, de désignation en lien avec des problèmes publics plus larges (nous y reviendrons) ;
• Sont perçues par les acteurs éducatifs et scolaires comme un “nouveau” phénomène.
Or, si l’on prend l’historique des problèmes publics et sociaux qui ont débouché sur des problématiques éducatives, nous avons :
• Dans les années 1970-80 les problèmes des banlieues et du chômage qui ont fait émergé celui de l’échec scolaire ;
• Dans les années 90 à 2010 les problèmes d’insécurité, de migrations et de chômage des jeunes qui ont amené des questions et des réflexions sur le handicap, le décrochage scolaire, la violence à l’école et l’ethnicité ;
• Tout récemment, la radicalisation, le genre et le Covid 19 ont entraîné des débats éducatifs sur le genre, le harcèlement, les cyberviolences, la laïcité et le complotisme.
La Cité Educative se caractérise donc par un échelon local conforté et la diversité des actions des Cités Educatives (2/3)
Elle est aussi :
• une occasion de structuration d’une politique éducative locale antérieure ;
• une accentuation de la logique de guichet ;
• une tentative d’harmonisation de l’action locale.
Mais on constate par ailleurs des tensions sur les obligations de Droit Commun de l’Etat et la démarche des CE.
• Est-ce que les CE sont une politique d’éducation prioritaire ?
• Est-ce que les CE sont un dispositif délégataire du désinvestissement de l’Etat dans les milieux populaires ?
• Peut-on parler d’excellence dans le champ de l’éducation ?
La CE pose également la question des professionnalités et de la division du travail éducatif dans le contexte français
• Considère-t-on l’école comme une forteresse (ce qui se passe à l’intérieur ne changera pas et ne concerne pas les extérieurs) ou comme un quartier général (c’est l’école qui organise les dispositifs à mettre en place) ?
• Question des alliances puisqu’il s’agit de faire travailler ensemble des professionnels de tous les horizons : est-ce que ce sont des ressources ou le péril pour une école de tous les élèves ? La tentation de l’externalisation : les élèves en difficulté qui auraient besoin de plus d’école ont en fait moins d’école.
Les alliances configurent des répertoires d’action (supposément) partagés et participent de leur mise en scène dans l’espace public. Elles s’inscrivent pourtant dans des registres d’intérêts, de cultures professionnelles et de pratiques en tension.
Conclusions
Les CE posent le problème des alliances. L’enjeu des alliances est fondamental mais il est très verrouillé.
Les alliances en France ne vont pas de soi. La France est le seul pays à avoir des CPE, à avoir des certifiés et des agrégés.
Nous sommes en train d’inventer un fonctionnement contraire à plusieurs siècles de fonctionnement.
Pour finir, on constate que le collège concentre beaucoup d’actions et que beaucoup de dispositifs se concentrent sur des problèmes à résoudre.
Mais d’autres questions se posent, à savoir :
• La durabilité et la stabilité des équipes éducatives
• Le problème du temps libéré pour organiser et mettre en place les dispositifs
• La continuité des dispositifs et la pérennité des financements – sans évaluation.
• La place des collectivités dans les évaluations
• La défiance des enseignants vis-à-vis de la hiérarchie directe et indirecte – leur défiance face aux collectivités.
• Les espaces de formation partagée permettent de progresser, mais comment développer des modalités d’action sur des temps partagés ?
• La mobilisation des familles.
Pour conclure, disons que :
• Les Cités éducatives se construisent entre ruptures et continuités ;
• il y a un très fort appui du « local » ;
• des tensions subsistent entre la recherche et la prescription.
ET donc, la posture critique se pose comme un enjeu démocratique.
Disons enfin que les comparaisons internationales sont indispensables comme enjeu de savoir :
• Sur les représentations de l’enfance ;
• Sur les formes de l’action éducative ;
• Sur les processus de construction et de prise en charge des problèmes scolaires et éducatifs.